CHAPITRE IX
État de la Germanie jusqu'à l'invasion des Barbares sous le règne
de l'empereur Dèce.
Les sanglans démêlés des Perses avec Rome, et leur
influence marquée sur la décadence et sur la chute
de l'empire, nous ont engagé à faire connaître la
religion et le gouvernement de ce peuple. Maintenant
si nous portons nos regards vers le nord du
globe, nous voyons d'abord les Scythes ou Sarmates
errer avec leurs chevaux, leurs troupeaux, leurs
femmes et leurs enfans, dans ces plaines immenses
qui s'étendent depuis la mer Caspienne jusqu'à la
Vistule, depuis les confins de la Perse jusqu'à ceux
de la Germanie
(1).
Mais il n'est point de nation plus
digne que les Germains d'occuper une place considérable
dans notre histoire. Ce sont eux qui d'abord
eurent le courage de résister aux Romains, qui envahirent
ensuite les domaines de ces superbes vainqueurs,
et qui enfin écrasèrent leur puissance en
Occident. Des considérations plus fortes, et qui nous
touchent de bien près, exigent encore toute notre
attention. Les peuples les plus civilisés de l'Europe
moderne sont sortis des forêts de la Germanie; et
nous pourrions retrouver dans les institutions grossières
des Barbares qui les habitaient alors, les principes
originaux de nos lois et de nos mœurs. Tacite
a fait un ouvrage sur les Germains : leur état primitif,
leur simplicité, leur indépendance, ont été tracés
par le pinceau de cet écrivain supérieur, le premier
qui ait appliqué la science de la philosophie à l'étude
des faits. Son excellent traité, qui renferme peut-être
plus d'idées que de mots, a d'abord été commenté
par une foule de savans : de nos jours, il a exercé le
génie et la pénétration des historiens philosophes.
Quelles que soient la richesse et l'importance de ce
sujet, il a déjà été traité tant de fois, avec tant d'habileté
et de succès, qu'il est devenu familier au lecteur
et difficile pour l'auteur. Nous nous contenterons
donc de rappeler quelques-unes des circonstances
les plus intéressantes du climat, des mœurs et des
institutions qui ont rendu des sauvages si redoutables
à la puissance de Rome.
Étendue de la Germanie.
La Germanie, si on en excepte la petite province
de ce nom, située sur la rive occidentale du Rhin,
qui avait subi le joug des Romains, renfermait le
tiers de l'Europe. La Suède, le Danemarck, la Norwége,
la Finlande, la Livonie, la Prusse, presque
toute l'Allemagne, et la plus grande partie de la
Pologne, étaient originairement habités par une seule
nation, partagée en différentes tribus, dont les traits,
les mœurs, le langage, attestaient une origine commune,
et laissaient apercevoir entre elles une ressemblance
frappante
(2).
Le Rhin bornait à l'occident ces
vastes contrées, et vers le midi, les provinces illyriennes
de l'empire en étaient séparées par le Danube.
Depuis ce fleuve, une chaîne de montagnes, connues
sous le nom de monts Krapacks, couvrait la Germanie
du côté de la Hongrie et du pays des Daces. A l'orient,
les défiances mutuelles des Germains et des
Sarmates marquaient légèrement quelques frontières
souvent effacées par les conquêtes et par les alliances
des différentes tribus de ces deux nations. Le septentrion
resta toujours inconnu aux anciens : ils n'entrevirent
qu'imparfaitement un océan glacé au-delà
de la mer Baltique et de la péninsule ou des îles de
la Scandinavie
(3).
Climat.
Quelques écrivains ingénieux
(4)
ont soupçonné
que l'Europe était autrefois bien plus froide qu'elle
ne l'est à présent. Les plus anciennes descriptions
de la Germanie tendent singulièrement à confirmer
leur théorie. Il n'est question, en parlant de cette
contrée, que de neige, de frimas et d'un hiver perpétuel.
On doit peut-être s'arrêter peu à ces expressions
générales, puisque nous n'avons aucune méthode
pour réduire à la mesure exacte du thermomètre
les sensations ou les expressions d'un orateur
né sous le climat fortuné de la Grèce et de l'Asie.
Il existe cependant deux circonstances remarquables
et d'une nature moins équivoque : 1° La glace arrêtait
souvent le cours des deux grands fleuves qui
servaient de limites à l'empire. Pendant l'hiver, le
Rhin et le Danube étaient capables de soutenir les
fardeaux les plus énormes. Alors les Barbares, qui
choisissaient ordinairement cette saison rigoureuse
pour leurs incursions, transportaient, sans crainte et
sans danger, sur une masse d'eau devenue immobile
(5),
leurs nombreuses armées, leur cavalerie et
des chariots remplis de provisions de toute espèce.
Les siècles modernes n'ont jamais été témoins d'un
pareil phénomène. 2° Le renne, cet animal utile,
dont le sauvage du Nord, condamné à vivre sous un
ciel affreux, tire de si grands avantages, est d'une
constitution qui supporte, qui exige même le froid
le plus rigoureux. On le trouve sur le rocher du
Spitzberg, à dix degrés du pôle. Il semble se plaire
au milieu des neiges de la Sibérie et de la Laponie :
aujourd'hui il ne peut vivre, encore moins se reproduire,
dans aucune contrée au sud de la mer
Baltique
(6).
Du temps de Jules-César, le renne, aussi
bien que l'élan et le taureau sauvage, existait dans
la forêt Hercynienne, qui couvrait alors une partie
de l'Allemagne et de la Pologne
(7).
Les travaux des
hommes expliquent suffisamment les causes de la
diminution du froid. Ces bois immenses qui dérobaient
la terre aux rayons du soleil
(8),
ont été
détruits. A mesure que l'on a cultivé les terres et
desséché les marais, la température du climat est
devenue plus douce. Le Canada nous présente maintenant
une peinture exacte de l'ancienne Germanie.
Quoique située sous la même latitude que les plus
belles provinces de la France et de l'Angleterre,
cette partie du Nouveau-Monde éprouve le froid le
plus rigoureux. Le renne y est commun : la terre
reste ensevelie sous une neige profonde et impénétrable.
Le fleuve Saint-Laurent est régulièrement
gelé dans un temps où les eaux de la Seine et de
la Tamise sont ordinairement débarrassées des glaces
(9).
Ses effets sur les naturels.
On a souvent examiné l'influence du climat sur les
corps et sur les esprits des Germains. Il est plus facile
d'en exagérer les effets que de les déterminer
avec précision. Quelques écrivains ont supposé, et
ils croyaient tous pour la plupart, quoique peut-être
sans aucune preuve suffisante, que le froid rigoureux
du nord contribuait à la longue vie des
habitans, et favorisait la propagation de l'espèce;
que les hommes de ces contrées étaient plus propres
à la génération, et les femmes plus fécondes que
dans les climats chauds et tempérés
(10).
Nous pouvons
avancer avec plus d'assurance que les peuples
du Septentrion avaient reçu de la nature de grands
corps et une vigueur inépuisable, et qu'ils avaient
en général sur ceux du Midi l'avantage d'une taille
élevée
(11).
L'air âpre de la Germanie donnait aux
naturels une sorte de force plus faite pour les exercices
violens que pour un travail soutenu. Il leur
inspirait une intrépidité qui résultait de leurs fibres
et de leur organisation particulière. En temps de
guerre, ces robustes enfans du Nord
(12)
sentaient à
peine les rigueurs d'un hiver qui glaçait le courage
du soldat romain. Incapables, à leur tour, de résister
aux grandes chaleurs, ils éprouvaient pendant
l'été une langueur et des maladies mortelles,
et toute leur fougue se dissipait sous les feux brûlans
du soleil de l'Italie
(13).
Origine des Germains.
En parcourant la surface du globe, il n'est point
de partie considérable où l'on ne découvre des habitans;
et partout l'histoire se tait sur la manière dont
ces pays ont d'abord été peuplés. En vain l'esprit
philosophique examine soigneusement l'enfance des
grandes sociétés; il n'aperçoit que des ténèbres, et
notre curiosité se consume en efforts inutiles. Lorsque
Tacite considère la pureté du sang des Germains
et l'aspect affreux de leur patrie, il est disposé à déclarer
ces Barbares indigènes. Il est probable, et peut
même paraître certain, que l'ancienne Germanie n'avait
pas été originairement peuplée par des colonies
étrangères déjà formées en corps politique
(14).
Ce
qui paraît le plus vraisemblable, c'est que les sauvages
errans de la forêt Hercynienne, rassemblés d'abord
en petit nombre, auront insensiblement formé
un grand peuple connu sous le nom de nation germanique.
Si l'on osait prétendre ensuite que ces sauvages
fussent enfans de la terre qu'ils foulaient aux
pieds, un pareil système serait condamné par la religion,
et la raison ne fournirait aucune arme pour
le défendre.
Fables et conjectures.
Ces doutes sensés sont bien opposés aux notions
de la vanité nationale. Parmi les peuples qui ont
adopté l'histoire de Moïse, l'arche de Noé est devenue
ce que le siège de Troie avait été pour les Grecs et
pour les Romains. Sur la base étroite de la vérité, l'imagination
a placé l'immense et grossier colosse de
la fable. Écoutez l'orgueilleux Irlandais
(15);
il peut,
aussi bien que le sauvage des déserts de la Tartarie
(16),
vous montrer, dans un fils de Japhet, la tige
d'où sont sortis ses ancêtres. Le dernier siècle a produit
une foule de savans d'une érudition profonde et
d'un esprit crédule, qui, guidés par la lueur incertaine
des légendes, des traditions, des conjectures et
des étymologies, ont conduit les enfans et les petits-fils
de Noé depuis la tour de Babel jusqu'aux extrémités
de la terre. De tous ces critiques si judicieux,
celui qui mérite le plus d'être remarqué, est Olaus-Rudbek,
professeur de l'université d'Upsal
(17).
Ce
zélé citoyen fait de son pays natal le théâtre de toutes
les merveilles que la fable et l'histoire ont célébrées.
C'est de la Suède que les Grecs ont tiré leur alphabet,
leur astronomie, leur religion. La Suède était,
selon lui, une contrée délicieuse dont l'Atlantique de
Platon, le pays des Hyperboréens, les îles Fortunées,
le jardin des Hespérides, et même les Champs-Élysées,
ne nous ont donné qu'une idée imparfaite.
Un climat si favorisé de la nature ne pouvait rester
longtemps désert après le déluge. En peu d'années
la famille de Noé, composée d'abord de huit personnes,
compte vingt mille rejetons. Alors le savant
Rudbek les sépare en petites colonies, et les disperse
sur toute la terre pour en couvrir la surface et
propager l'espèce humaine. Le détachement germain
ou suédois, commandé, si je ne me trompe, par
Askenaz, fils de Gomer, fils de Japhet, se conduisit
dans cette grande entreprise avec une activité extraordinaire.
Bientôt le Nord envoie de nombreux essaims
en Europe, en Asie et en Afrique; et, pour
me servir de la métaphore de l'auteur, le sang se
porta des extrémités au cœur de l'univers.
Les Germains n'avaient pas l'usage des Lettres.
Mais tous ces systèmes savans d'antiquités germaniques
viennent se briser contre un seul fait trop
bien attesté pour donner lieu au moindre doute, et
d'une espèce trop décisive pour qu'il soit possible
d'y répondre. Les Germains, du temps de Tacite,
n'avaient point l'usage des lettres
(18),
connaissance
précieuse qui distingue principalement un peuple
civilisé d'une horde de sauvages plongés dans les ténèbres
de l'ignorance, ou incapables de réflexion.
Privé de ce secours artificiel, l'homme perd le souvenir
ou altère la nature des idées qu'il a reçues.
Bientôt les modèles s'effacent, les matériaux disparaissent,
le jugement devient faible et inactif, l'imagination
reste languissante, ou, si elle veut prendre
l'essor, elle n'enfante que des chimères. Enfin, l'âme,
abandonnée à elle-même, méconnaît insensiblement
l'exercice de ses plus nobles facultés. Pour nous convaincre
de cette vérité importante, considérons l'état
actuel de la société. Quelle distance immense entre
l'homme instruit et le paysan entièrement privé de
la connaissance des lettres ! Le premier, par le secours
de la lecture ou la réflexion, multiplie sa propre
expérience; il parcourt tout l'univers; il se transporte
dans les siècles les plus éloignés. L'autre, attaché
à la glèbe qui l'a vu naître, borné à quelques
années d'existence, l'emporte à peine en intelligence
sur ce bœuf, tranquille compagnon de ses travaux.
On trouvera une différence encore plus grande parmi
les nations que parmi les individus. N'en doutons
point, sans une méthode propre à exprimer les pensées
par des figures, un peuple ne conservera jamais
de monumens historiques. Incapable de percer dans
les sciences abstraites, jamais il ne pourra cultiver
avec succès les arts utiles et agréables de la vie.
Des arts de l'agriculture.
Ces arts furent entièrement inconnus aux habitans
du Nord. Les Germains passaient leurs jours dans un
état de pauvreté et d'ignorance que de vains déclamateurs
se sont plu à décorer du nom de vertueuse
simplicité. On compte maintenant en Allemagne environ
deux mille trois cents villes
(19)
entourées de
murs. Dans une étendue de pays beaucoup plus considérable,
Ptolémée n'a pu découvrir que quatre-vingt-dix
bourgs ou villages, qu'il décore du nom
pompeux de villes
(20).
Selon toutes les apparences,
les forêts de la Germanie ne renfermaient que des fortifications
grossières, élevées sans art, pour mettre les
femmes, les enfans et les troupeaux à l'abri d'une
invasion subite, tandis que les guerriers marchaient
à la rencontre de l'ennemi
(21).
Tacite rapporte,
comme un fait constant, que, de son temps, ces
Barbares n'avaient aucune ville
(22).
Ils affectaient de
mépriser les ouvrages de l'industrie romaine : toutes
ces enceintes redoutables leur paraissaient plutôt
une prison qu'un lieu de sûreté
(23).
Leurs maisons
isolées ne formaient aucun village régulier
(24).
Chaque
sauvage fixait ses foyers indépendans sur le terrain
auquel un bois, un champ, une fontaine, l'engageaient
à donner la préférence. Là on n'employait
ni pierres, ni briques, ni tuiles
(25).
Toutes ces habitations
n'étaient réellement que des huttes peu
élevées, de figure circulaire, construites en bois qui
n'avait point été façonné, couvertes de chaume et
percées vers le haut pour laisser un passage libre à
la fumée. Dans l'hiver, le Germain n'avait, pour se
garantir du froid le plus rigoureux, qu'un léger
manteau fait de la peau de quelque animal. Les
tribus du Nord portaient des fourrures, et les femmes
filaient elles-mêmes une sorte de toile grossière
dont elles se servaient
(26).
Le gibier de toute espèce
dont les forêts étaient remplies, procurait à
ces peuples une nourriture abondante et le plaisir
de la chasse
(27).
De nombreux troupeaux, moins
remarquables, il est vrai, par leur beauté que par
leur utilité
(28),
formaient leurs principales richesses.
Leur contrée ne produisait que du blé; on n'y
voyait ni vergers, ni prairies artificielles; et comment
l'agriculture se serait-elle perfectionnée dans
un pays où, tous les ans, une nouvelle division de
terres labourables occasionait un changement universel
dans les propriétés, et dont les habitans, attachés
à cette coutume singulière, laissaient en friche,
pour éviter toute dispute, une grande partie
de leur territoire
(29) ?
Et des métaux.
L'argent, l'or et le fer, étaient extrêmement rares
en Germanie. Les naturels n'avaient ni la patience
ni le talent nécessaires pour tirer du sein de la
terre ces riches veines d'argent qui depuis ont récompensé
si libéralement les soins des souverains
de Saxe et de Brunswick. La Suède, dont les mines
fournissent maintenant du fer à toute l'Europe, ignorait
également ses trésors. A voir les armes des Germains,
on jugera facilement qu'ils avaient peu de
fer, puisqu'ils ne pouvaient en employer beaucoup
à l'usage qui devait paraître le plus noble aux yeux
d'un peuple belliqueux. Les guerres et les traités
avaient introduit quelques espèces romaines, d'argent
pour la plupart, chez les nations qui habitaient
les bords du Rhin et du Danube; mais les
tribus plus éloignées n'avaient aucune idée de la
monnaie. Leur commerce borné consistait dans l'échange
des marchandises; et de simples vases d'argile
leur paraissaient aussi précieux que ces coupes
d'argent dont Rome avait fait des présens à leurs
princes et à leurs ambassadeurs
(30).
Ces faits principaux
instruisent mieux un esprit capable de réflexion
que tout le détail minutieux d'une foule de
circonstances particulières. La valeur de la monnaie
a été fixée, par un consentement général, pour
exprimer nos besoins et nos propriétés, comme les
lettres ont été inventées pour rendre nos pensées.
Ces deux institutions, en augmentant la force de la
nature humaine, et en donnant à nos passions une
énergie plus active, ont contribué à multiplier les
objets qu'elles devaient représenter. L'usage de l'or
et de l'argent est, en grande partie, idéal; mais il
serait impossible de calculer les services nombreux
et importans que l'agriculture et tous les arts ont
retirés du fer, lorsque ce métal a été épuré par le
feu et façonné par la main industrieuse de l'homme.
En un mot, la monnaie est l'attrait le plus universel
de l'industrie humaine; le fer en est l'instrument
le plus puissant. Otez à un peuple ces deux
moyens; qu'il ne soit ni excité par l'un ni secondé
par l'autre, il ne pourra jamais sortir de la plus
grossière barbarie
(31).
Leur indolence.
Si nous contemplons un peuple sauvage, dans
quelque partie du globe que ce puisse être, nous
verrons une quiétude indolente et l'indifférence
sur l'avenir former la partie dominante de son caractère.
Dans un État civilisé, l'âme tend à se développer;
toutes ses facultés sont perpétuellement
exercées, et la grande chaîne d'une dépendance
mutuelle embrasse et resserre les individus. La portion
la plus considérable de la société est constamment
employée à des travaux utiles. Quelques-uns,
placés par la fortune au-dessus de cette nécessité,
peuvent cependant occuper leur loisir en suivant
l'intérêt ou la gloire, en augmentant leurs biens,
en perfectionnant leur intelligence, ou en se livrant
aux devoirs, aux plaisirs, aux folies même de la
vie sociale. Les Germains n'avaient aucune de ces
ressources. Ils abandonnaient aux vieillards, aux
gens infirmes, aux femmes et aux esclaves, les détails
domestiques, la culture des terres et le soin
des troupeaux. Privé de tous les arts qui pouvaient
remplir son loisir, le guerrier fainéant, semblable
aux animaux, passait ses jours et ses nuits à manger
et à dormir. Et cependant, combien la nature
ne diffère-t-elle pas d'elle-même ! selon la remarque
d'un écrivain qui en avait sondé toute la profondeur,
ces mêmes sauvages étaient tour à tour les
plus indolens et les plus impétueux des hommes.
Ils aimaient l'oisiveté, ils détestaient le repos
(32).
Leur âme languissante, accablée de son propre
poids, cherchait avidement quelque sensation nouvelle,
quelque objet capable de lui donner des secousses.
La guerre et ses horreurs avaient seules
des charmes pour ces caractères indomptés. Dès
que le bruit des armes se faisait entendre, le Germain,
transporté, sortait tout à coup de son engourdissement :
il volait aux combats; il se précipitait
au milieu des dangers. Les violens exercices
du corps et les mouvemens rapides de l'âme lui
donnaient un sentiment plus vif de son existence.
Dans quelques tristes intervalles de paix, ces Barbares
se livraient sans aucune modération aux excès
de la boisson et du jeu. Ces deux plaisirs, dont
l'un, enflammait leurs passions et l'autre éteignait
leur raison, contribuaient ainsi, par des moyens
différens, à les délivrer de la peine de penser. Ils
mettaient leur gloire à rester à table des journées
entières. Souvent ces assemblées de débauche étaient
souillées du sang de leurs parens et de leurs amis
(33).
Ils payaient avec la plus scrupuleuse exactitude les
dettes d'honneur; car ce sont eux qui nous ont appris
à désigner ainsi les dettes du jeu. L'infortuné
qui, dans son désespoir, avait risqué sa personne
et sa liberté au hasard d'un coup de dé, se soumettait
patiemment à la décision du sort. Garrotté, exposé
aux traitemens les plus durs, quelquefois même
vendu comme esclave dans les pays étrangers, il
obéissait sans murmure à un maître plus faible
mais plus heureux
(34).
Leur goût pour les liqueurs fortes.
Une bière, faite sans art avec du froment ou de
l'orge, et acquérant par la corruption, selon l'énergique
expression de Tacite, une sorte de ressemblance
avec le vin, suffisait aux habitans de la Germanie
pour leurs parties ordinaires de débauche;
mais ceux qui avaient goûté les vins délicieux de
l'Italie et de la Gaule, soupiraient après une espèce
d'ivresse plus agréable. Ils ne songèrent cependant
pas, comme on l'a exécuté depuis avec tant de succès,
à planter des vignes sur les bords du Rhin et
du Danube, et l'industrie ne leur procura jamais de
matières pour un commerce avantageux. La nation
aurait rougi de devoir à un travail pénible ce qu'elle
pouvait obtenir par les armes
(35).
Le goût immodéré
des Barbares de toutes les nations pour les liqueurs
fortes les engagea souvent à envahir les régions
comblées des présens si enviés de l'art ou de la nature.
Le Toscan qui livra l'Italie aux Celtes, les
attira dans sa patrie en leur montrant les excellens
fruits et les vins précieux que produisait un climat
plus fortuné
(36).
Ce fut ainsi que, durant les guerres
du seizième siècle, les Allemands accoururent en
France pour piller les riches coteaux de la Bourgogne
et de la Champagne
(37).
L'ivrognerie, aujourd'hui
le plus bas, mais non le plus dangereux
de nos vices, peut, chez des peuples moins civilises,
occasioner une bataille, une guerre ou une
révolution.
Population de la Germanie.
Depuis Charlemagne, dix siècles de travaux ont
adouci le climat et fertilisé le sol de la Germanie :
un million d'ouvriers et de laboureurs mènent à
présent une vie aisée et agréable dans un pays où
cent mille guerriers paresseux trouvaient à peine
autrefois de quoi subsister
(38).
Les Germains destinaient
leurs immenses forêts au plaisir de la chasse :
ils employaient en pâturages la plus grande partie
de leurs terres, en cultivaient une très-petite portion
d'une manière fort imparfaite, et se plaignaient ensuite
de l'aridité et de la stérilité d'une contrée qui
refusait de nourrir ses habitans. Lorsqu'une famine
cruelle venait les convaincre de la nécessité des arts,
ils n'avaient souvent alors d'autre ressource que d'envoyer
au dehors le quart, ou peut-être le tiers de
leur jeunesse
(39).
Une possession et une jouissance
assurées sont les liens qui attachent un peuple à sa
patrie; mais les Germains portaient avec eux ce
qu'ils avaient de plus cher, et, dès qu'ils voyaient
briller l'espoir d'une conquête ou d'un riche butin,
ils abandonnaient la vaste solitude des bois, et marchaient
aux combats avec leurs troupeaux, leurs
femmes et leurs enfans. Les nombreux essaims qui
sortirent ou qui parurent sortir de la grande fabrique
des nations, ont été multipliés par l'effroi des
vaincus et par la crédulité des siècles suivans. Des
faits ainsi exagérés ont insensiblement établi une
opinion soutenue depuis par de très-habiles écrivains :
on s'est imaginé que du temps de César et de
Tacite le Nord était infiniment plus peuplé qu'il ne
l'est de nos jours
(40).
Des recherches plus exactes sur
les causes de la population semblent avoir convaincu
les philosophes modernes de la fausseté, de l'impossibilité
même de cette hypothèse. Aux noms de
Mariana et de Machiavel
(41),
nous pouvons en opposer
d'aussi respectables, ceux de Hume et de
Robertson
(42).
Liberté.
Un peuple guerrier qui n'a point de villes, qui
néglige tous les arts, et qui ne connaît l'usage ni
des lettres ni de la monnaie, trouve cependant dans
la jouissance de la liberté quelque compensation à
cet état de barbarie : tels étaient les Germains; leur
pauvreté assurait leur indépendance. En effet, nos
possessions et nos désirs sont les chaînes les plus
fortes du despotisme. « Les Suéones, dit Tacite
(43),
honorent les richesses : aussi sont-ils soumis à un
monarque absolu. Les armes ne sont pas parmi eux,
comme chez les autres peuples germaniques, entre
les mains de tout le monde; le roi les tient en dépôt
sous la garde d'un homme de confiance, et cet homme
n'est pas citoyen; ce n'est pas même un affranchi,
c'est un esclave. Les voisins des Suéones, les Sitones
(44),
sont tombés au-dessous de la servitude; ils
obéissent à une femme
(45). »
En faisant cette exception,
Tacite reconnaît la vérité du principe général
que nous avons exposé sur la théorie du gouvernement;
nous sommes seulement en peine de concevoir
par quels moyens les richesses et le despotisme
ont pénétré dans une partie du Nord si éloignée, et
ont pu éteindre la flamme généreuse qui brillait
dans les contrées voisines des provinces romaines.
Comment les ancêtres de ces Norwégiens et de ces
Danois, si connus depuis par leur caractère indomptable,
se sont-ils laissé enlever le sceau de la
liberté germanique
(46) ?
Quelques tribus des bords de
la Baltique reconnaissaient l'autorité des rois, sans
avoir abandonné les droits de l'homme
(47);
mais
dans presque toute la Germanie, la forme du gouvernement
était une démocratie, tempérée, il est vrai,
et modérée moins par des lois générales et positives
que par l'ascendant momentané de la naissance ou de
la valeur, de l'éloquence ou de la superstition
(48).
Assemblées du peuple.
Les gouvernemens civils ne sont, dans leur première
origine, que des associations volontaires formées
pour la sûreté commune : pour parvenir à ce
but désiré, il est absolument nécessaire que chaque
individu se croie essentiellement obligé de soumettre
ses opinions et ses actions particulières au jugement
du plus grand nombre de ses associés. Les Germains
se contentèrent de cette ébauche informe, mais
hardie, de la société politique. Dès qu'un jeune
homme, né de parens libres, avait atteint l'âge viril,
on l'introduisait dans le conseil général de la nation;
on lui donnait solennellement la lance et le bouclier.
Il prenait aussitôt place parmi ses compatriotes, et
devenait un membre de la république militaire, égal
en droit à tous les autres. Les guerriers de la tribu
s'assemblaient en de certains temps fixes, ou dans
des occasions extraordinaires. L'administration de la
justice, l'élection des magistrats et les grands intérêts
de la guerre et de la paix, se décidaient par le
suffrage libre de tous les citoyens. A la vérité un
corps choisi des grands ou des chefs de la nation préparait
quelquefois et proposait les affaires les plus
importantes
(49).
Les magistrats pouvaient délibérer
et persuader; le peuple seul avait le droit de prononcer
et d'exécuter. La promptitude et la violence
caractérisaient presque toujours les résolutions des
Germains. Ces Barbares, qui faisaient consister la liberté
à satisfaire la passion du moment, et le courage
à braver les dangers, rejetaient en frémissant les conseils
timides de la justice ou de la politique. Leur indignation
éclatait alors par un sombre murmure. Mais
lorsqu'un orateur plus populaire leur proposait de
venger quelque injure, de briser même les fers du
dernier des citoyens; lorsqu'il appelait ses compatriotes
à la défense de l'honneur national ou à l'exécution
de quelque entreprise pénible et glorieuse,
un choc terrible d'épées et de boucliers exprimait
les transports et les applaudissemens de toute l'assemblée.
Les Germains ne se rassemblaient jamais
que couverts de leurs armes; et au milieu des délibérations
les plus sérieuses, on avait tout à craindre
du caprice aveugle d'une multitude féroce qu'enflammaient
l'esprit de discorde et l'usage des liqueurs
fortes, et toujours prête à soutenir par la violence
des résolutions prises au sein du tumulte. Combien
de fois avons-nous vu les diètes de Pologne teintes
de sang, et le parti le plus nombreux forcé de céder
à la faction la plus séditieuse
(50) !
Autorité des princes et des magistrats.
Lorsqu'une tribu avait à redouter quelque invasion,
elle se choisissait un général. Si le danger devenait
plus pressant, et qu'il menaçât l'État entier,
plusieurs tribus concouraient à l'élection du même
général. C'était au guerrier le plus brave que l'on
confiait le soin important de mener ses compatriotes
sur le champ de bataille. Il devait leur donner l'exemple
plutôt que des ordres; mais cette autorité, quoique
bornée, était toujours suspecte; elle expirait
avec la guerre, et en temps de paix les Germains ne
reconnaissaient aucun chef suprême
(51).
L'assemblée
générale nommait cependant des princes pour administrer
la justice, ou plutôt pour accommoder les
différends
(52)
dans leurs districts respectifs. En choisissant
ces magistrats, on avait autant égard à la
naissance qu'au mérite
(53).
La nation leur accordait
à chacun une garde et un conseil de cent personnes.
Il paraît que le premier d'entre eux jouissait, pour
le rang et pour les honneurs, d'une prééminence
qui engagea quelquefois les Romains à le décorer du
titre de roi
(54).
Plus absolue sur les propriétés que sur les personnes des Germains.
Pour se représenter tout le système des mœurs
des Germains, il suffit de comparer deux branches
remarquables de l'autorité de leurs princes. Ces magistrats
disposaient entièrement de toutes les terres
de leur district, et ils en faisaient chaque année un
nouveau partage
(55).
D'un autre côté, la loi leur
défendait de punir de mort, d'emprisonner, de frapper
même un simple citoyen
(56).
Des hommes si jaloux
de leurs personnes, si peu occupés de leurs
propriétés, n'avaient certainement aucune idée des
arts ni de l'industrie; mais ils devaient être animés
par un sentiment élevé de l'honneur et de l'indépendance.
Service volontaire.
Les Germains ne connaissaient d'autres devoirs
que ceux qu'ils s'étaient eux-mêmes imposés. Le
soldat le plus obscur dédaignait de se soumettre à
l'autorité du magistrat. Le jeune guerrier de la naissance
la plus illustre ne rougissait pas du titre de
compagnon, « Chaque prince avait une troupe de
gens qui s'attachaient à lui et qui le servaient. Il
y avait entre eux une émulation singulière pour obtenir
quelque distinction auprès du prince, et une
même émulation entres les princes sur le nombre et
la bravoure de leurs compagnons. C'est la dignité,
c'est la puissance d'être toujours entouré d'un essaim
de jeunes gens que l'on a choisis; c'est un ornement
dans la paix, c'est un rempart dans la guerre. On se
rend célèbre dans sa nation et chez les peuples voisins,
si l'on surpasse les autres par le nombre et par
le courage de ses compagnons; on reçoit des présens;
les ambassades viennent de toutes parts. Souvent
la réputation décide de la guerre. Dans le combat,
il est honteux au prince d'être inférieur en
courage; il est honteux à la troupe de ne point égaler
la valeur du prince. C'est une infamie éternelle de
lui avoir survécu. L'engagement le plus sacré, c'est
de le défendre. Si une cité est en paix, les princes
vont chez celles qui font la guerre; c'est par là qu'ils
conservent un grand nombre d'amis. Ceux-ci reçoivent
d'eux le cheval du combat, et le javelot terrible.
Les repas, peu délicats, mais grands, sont une
espèce de solde pour eux; le prince ne soutient ses
libéralités que par les guerres et les rapines
(57). »
Cette institution, qui affaiblissait le gouvernement
des différens États de la Germanie, donnait un nouveau
ressort au caractère général des nations qui
l'habitaient. Elle développait parmi elles le germe
de toutes les vertus dont les Barbares sont susceptibles.
C'est du même foyer que sont sorties long-temps
après la valeur, la fidélité, la courtoisie et l'hospitalité
qui distinguèrent nos anciens chevaliers. Un
célèbre écrivain de nos jours aperçoit dans les dons
honorables accordés par le chef à ses braves compagnons,
l'origine des fiefs que les seigneurs barbares,
après la conquête des provinces romaines, distribuèrent
à leurs vassaux, en exigeant pareillement
d'eux l'hommage et le service militaire
(58).
Ces conditions
cependant sont entièrement contraires aux
maximes des Germains, qui aimaient à faire des présens,
mais qui auraient rougi d'imposer ou d'accepter
aucune obligation
(59).
Chasteté des Germains.
Dans les siècles de chevalerie, au moins si l'on
en croit les vieux romanciers, tous les hommes étaient
braves, toutes les femmes étaient chastes. La dernière
de ces vertus, quoique bien plus difficile à
acquérir et à conserver que la première, est attribuée
presque sans exception aux femmes des Germains.
La polygamie avait lieu seulement parmi les princes;
encore ne se la permettaient-ils que pour multiplier
leurs alliances. Les divorces étaient défendus par
les mœurs, plutôt que par les lois. On punissait l'adultère
comme un crime rare et impardonnable. Ni
l'exemple ni la coutume ne pouvaient justifier la
séduction
(60).
Il nous est permis de croire que Tacite
s'est un peu laissé entraîner au noble plaisir
d'opposer la vertu des Barbares à la conduite dissolue
des femmes romaines : cependant son récit renferme
plusieurs circonstances frappantes, qui donnent
un air de vérité ou du moins de probabilité à
ce qu'il nous rapporte de la chasteté et de la foi conjugale
des Germains.
Ses causes probables.
Les progrès de la civilisation ont certainement
mis un frein aux passions les plus violentes de la
nature humaine; mais ils semblent avoir été moins
favorables à la chasteté, dont le principal ennemi
est la mollesse de l'âme. Les raffinemens de la société,
en répandant du charme sur le commerce des deux
sexes, en altèrent la pureté. La grossière impulsion
de l'amour devient plus dangereuse lorsqu'elle s'ennoblit,
ou plutôt se déguise, en s'alliant à un sentiment
passionné. Les grâces, la politesse, l'élégance
des vêtemens, augmentent l'éclat de la beauté, et
enflamment les sens par la voie de l'imagination.
Ces divertissemens, ces danses, ces spectacles, où
les mœurs sont si peu respectées, sont autant de
pièges tendus à la fragilité des femmes, et leur présentent
une foule d'occasions dangereuses
(61).
Parmi
les sauvages grossiers qui habitaient le Septentrion,
la pauvreté, la solitude et les soins pénibles de la vie
domestique garantissaient les femmes de ces dangers.
Le chaume, qui laissait leurs cabanes ouvertes de
tous côtés à l'œil de l'indiscrétion ou de la jalousie,
était pour la fidélité conjugale un rempart plus sûr
que les murs, les verroux et les eunuques d'un harem.
A cette cause on en peut ajouter une plus honorable.
Les Germains traitaient leurs femmes avec
estime et confiance, ils les consultaient dans les occasions
les plus importantes, et ils se plaisaient à
croire que leur âme renfermait une sainteté et une
sagesse surnaturelles. Quelques-unes de ces interprètes
du destin, telles que Velléda dans la guerre
des Bataves, gouvernèrent, au nom de la Divinité,
les plus fières d'entre les nations germaniques
(62);
sans être adorées comme déesses, les autres jouissaient
de la considération que méritaient les compagnes
libres des soldats, associées, comme l'indiquaient
les cérémonies mêmes du mariage, à une
vie de fatigue, de travaux et de gloire
(63).
Dans les
grandes invasions, les camps des Barbares étaient
remplis d'une multitude de femmes, qui, fermes au
milieu du bruit des armes, contemplaient d'un œil
intrépide le spectacle effrayant de la destruction, et
les blessures honorables de leurs fils et de leurs
époux
(64).
Des armées en déroute ont été plus d'une
fois ramenées à la victoire par le désespoir généreux
des femmes, qui redoutaient bien moins la mort que
la servitude. S'il ne restait plus de ressource, elles
savaient, par leurs propres mains, se dérober, ainsi
que leurs enfans, aux outrages du vainqueur
(65).
De
pareilles héroïnes ont des droits à notre admiration;
mais nous ne croirons sûrement pas qu'elles aient
été aimables ni propres à inspirer de l'amour. Elles
ne pouvaient imiter les vertus fortes de l'homme,
sans renoncer à cette douceur attrayante qui fait à la
fois le charme et la faiblesse de la femme. L'orgueil
apprenait aux Germaines à étouffer tout mouvement
de tendresse qui aurait porté la moindre atteinte à
l'honneur, et l'honneur du sexe a toujours été la
chasteté. Les sentimens et la conduite de ces fières
matrones sont à la fois une des causes, un des effets
et l'une des preuves du caractère général de la nation.
Le courage des femmes, quoique produit par
le fanatisme ou soutenu par l'habitude, n'est qu'une
image faible et imparfaite de la valeur qui distingue
les hommes d'un siècle ou d'une contrée.
Religion.
Le système religieux des Germains, si l'on peut
donner ce nom aux opinions grossières d'une nation
sauvage, avait pour principe leurs besoins,
leurs craintes et leur ignorance
(66).
Ils adoraient
des objets visibles et les grands agens de la nature :
le soleil et la lune, la terre et le feu. Ils avaient
en même temps imaginé des divinités qui présidaient,
selon eux, aux occupations les plus importantes
de la vie humaine. Ces Barbares croyaient
pouvoir découvrir la volonté des êtres supérieurs
par quelques pratiques ridicules de divination, et
le sang des hommes qu'ils immolaient au pied des
autels de leurs dieux, leur paraissait l'offrande la
plus précieuse et la plus agréable. On s'est trop empressé
d'applaudir à leurs notions sur la Divinité
qu'ils ne renfermaient pas dans l'enceinte d'un temple,
et qu'ils ne représentaient sous aucune forme
humaine. Rappelons-nous que les Germains n'avaient
pas la moindre idée de la sculpture, et qu'ils
connaissaient à peine l'art de bâtir; il nous sera facile
d'assigner le véritable motif d'un culte qui venait
bien moins d'une supériorité de raison que d'un
manque d'industrie. Des bois antiques, consacrés
par la vénération des siècles, étaient les seuls temples
des Germains : là résidait la majesté d'une
puissance invisible. Ces sombres retraites, en ne
présentant aucun objet distinct de crainte ou de
culte réel, inspiraient un sentiment bien plus profond
d'horreur religieuse
(67);
et l'expérience avait
appris à des prêtres grossiers tous les artifices qui
pouvaient maintenir et fortifier des impressions terribles
si conformes à leurs intérêts
(68).
Son influence dans la paix.
La même ignorance qui rend les Barbares incapables
de concevoir ou d'adopter l'empire utile des
lois, les livre sans défense aux terreurs aveugles de
la superstition. Les prêtres germains profitèrent de
cette disposition de leurs compatriotes, et ils exercèrent
même dans les affaires temporelles une autorité
que le magistrat n'aurait osé prendre. Le fier
guerrier se soumettait patiemment à la verge de la
correction, lorsque la main vengeresse tombait sur
lui pour exécuter, non la justice des hommes, mais
l'arrêt immédiat du dieu de la guerre
(69).
Souvent
la puissance ecclésiastique suppléait les défauts de
l'administration civile. L'autorité divine intervenait
constamment dans les assemblées populaires pour y
maintenir l'ordre et le silence; et quelquefois elle
s'occupait d'objets plus importans au bien de l'État.
On faisait, en certains temps, une procession solennelle
n
dans les pays actuellement connus sous le nom
de Mecklenbourg et de Poméranie. Le symbole inconnu
de la déesse Herthe (la terre), couvert d'un
voile épais, sortait avec pompe de l'île de Rugen, sa
résidence ordinaire : placée sur un char tiré par des
génisses, elle visitait de cette manière plusieurs tribus
de ses adorateurs. Pendant sa marche, les querelles
étaient suspendues, les cris de guerre étouffés;
le Germain belliqueux déposait ses armes : il
pouvait goûter alors les douceurs de la paix et de la
tranquillité
(70).
La trêve de Dieu, si souvent et si
inutilement proclamée par le clergé du onzième
siècle, ne fut qu'une imitation de cette ancienne
coutume
(71).
Dans la guerre.
Mais la religion avait bien plus de force pour enflammer
que pour modérer les passions violentes
des Germains. L'intérêt et le fanatisme portaient
souvent les prêtres à sanctifier les entreprises les
plus audacieuses et les plus injustes, par l'approbation
du ciel et par l'assurance du succès. Les étendards,
tenus long-temps en dépôt dans les bois
sacrés, brillaient tout à coup sur le champ de bataille
(72);
on dévouait l'armée ennemie, avec de terribles
imprécations, aux dieux de la guerre et du
tonnerre
(73).
Dans la religion du soldat, la lâcheté
est le plus grand des crimes : elle paraissait telle
aux yeux des Germains. L'homme courageux se rendait
digne des faveurs et de la protection de leurs
belliqueuses divinités. Le malheureux qui avait perdu
son bouclier était banni à jamais de toutes les assemblées
civiles et religieuses. Quelques tribus du
Nord semblent avoir embrassé la doctrine de la
transmigration
(74);
d'autres avaient imaginé un paradis
grossier, où les héros s'enivrent pendant toute
l'éternité
(75).
Elles convenaient toutes qu'une vie
passée dans les combats et une mort glorieuse pouvaient
seules assurer un avenir heureux, soit dans
ce monde-ci, soit dans l'autre.
Les bardes.
L'immortalité, si vainement promise au héros germain
par ses prêtres, lui était, jusqu'à un certain
point, assurée par les bardes. Cette classe d'hommes
singuliers a mérité l'attention de tous ceux qui ont
étudié les antiquités des Celtes, des Scandinaves et
des Germains. Des recherches exactes ont fait connaître
le génie, le caractère des bardes : on sait
combien leurs emplois importans inspiraient de vénération
pour leur personne. Il est plus difficile
d'exprimer, de concevoir même cette fureur pour
les armes, cet enthousiasme militaire qu'ils allumaient
par leurs chants dans le cœur de leurs compatriotes.
Chez un peuple civilisé, le goût de la
poésie est plutôt un amusement de l'imagination
qu'une passion de l'âme; et cependant lorsque,
dans le calme de la retraite, nous lisons les combats
décrits par Homère ou par le Tasse, insensiblement la
fiction nous séduit; nous ressentons quelques feux
d'une ardeur martiale. Mais combien sont faibles et
froides les sensations que reçoit un esprit tranquille
dans le silence de l'étude ! C'était au moment de la
bataille, c'était au milieu des fêtes de la victoire,
que les bardes célébraient les exploits des anciens
héros, et qu'ils faisaient revivre les ancêtres de ces
guerriers belliqueux qui écoutaient avec transport
des chants barbares, mais animés
(76).
La poésie tendait
à inspirer la soif de la gloire et le mépris de la
mort; et ces passions, enflammées par le bruit des
armes et par la vue des dangers, devenaient le sentiment
habituel de l'âme des Germains
(77).
Causes qui ont arrêté les progrès des Germains.
Telles étaient la situation et les mœurs des Germains.
Le climat, l'ignorance de ces Barbares, qui
ne connaissaient ni les lettres, ni les arts, ni les lois,
leurs notions sur l'honneur, sur la bravoure et sur
la religion , le sentiment qu'ils avaient de la liberté,
leur inquiétude dans la paix, leur ardeur pour la
guerre, tout contribuait à former un peuple de héros.
Pourquoi, pendant les deux siècles et demi qui
s'écoulèrent depuis la défaite de Varus jusqu'au règne
de l'empereur Dèce, ces guerriers formidables
ne se distinguèrent-ils par aucune entreprise importante ?
pourquoi firent-ils à peine impression sur les
faibles habitans des provinces de l'empire, asservis
par le luxe et par le despotisme ? Si leurs progrès
furent alors arrêtés, c'est qu'ils manquaient à la fois
d'armes et de discipline, et que leur fureur fut détournée
par les discordes intestines qui, durant
cette période, déchirèrent le sein de leur patrie.
Manque d'armes.
I. On a raison de dire que la possession du fer
assure bientôt à une nation celle de l'or. Mais les
Germains, également privés de ces métaux précieux,
furent réduits à les acquérir, lentement et par les
seuls efforts d'un courage destitué de moyens étrangers.
« Le fer n'est pas en abondance chez ces peuples,
autant qu'on en juge par leurs armes. Peu font
usage de l'épée ou de la pertuisane : ils ont des lances,
ou framées, comme ils les appellent, dont le fer
est étroit et court, mais si bien acérées et si maniables,
qu'elles sont également propres à combattre de
près ou de loin. Leur cavalerie n'a que la lance et
le bouclier. Chaque fantassin a de plus un certain
nombre de javelots. Alerte, parce qu'il est sans habits,
ou couvert d'une simple saye, il les lance à
une distance incroyable
(78).
Ces guerriers ne se piquent
d'aucune magnificence, ou plutôt ils n'en
connaissent d'autre que d'embellir leurs boucliers
des plus brillantes couleurs. Il est rare qu'ils aient
des cuirasses. On voit à peine un ou deux casques
dans toute une armée. Leurs chevaux ne sont remarquables
ni par la vitesse, ni par la beauté, ni dressés
à tourner en tous sens comme les nôtres
(79). »
Plusieurs de leurs nations se rendirent cependant
célèbres par leur cavalerie; mais, en général, la
principale force des Germains consistait dans une
infanterie
(80)
redoutable, rangée en différentes colonnes,
selon la distinction des tribus et des familles.
Et de discipline.
Trop impétueux pour s'accommoder des délais et
pour supporter les fatigues, ces soldats, à peine
armés, s'élançaient sur le champ de bataille sans
aucun ordre et en poussant des cris terribles. Quelquefois
la fougue d'un courage inné renversait la
valeur moins libre et moins naturelle des mercenaires
romains. Mais comme les Barbares jetaient
tout leur feu dès le premier choc, ils ne savaient ni
se rallier ni faire retraite. Un premier échec assurait
leur défaite; une défaite entraînait presque toujours
une destruction totale. Lorsque nous nous
rappelons l'armure complète des Romains, les exercices,
la discipline et les évolutions de leurs troupes,
leurs camps fortifiés et leurs machines de guerre,
nous ne pouvons assez nous étonner que des sauvages
nus, et sans autre secours que leur valeur, aient
osé se mesurer contre des légions formidables et les
différens corps d'auxiliaires qui secondaient leurs
opérations. Il fallut, pour balancer les forces, que
le luxe eût énervé la vigueur des Romains, et qu'un
esprit de désobéissance et de sédition eût relâché la
discipline de leurs armées. Rome perdit elle-même
de sa supériorité en recevant dans ses armées des
Barbares auxiliaires; démarche fatale qui leur apprit
insensiblement l'art de la guerre et de la politique.
Quoiqu'elle les admît en petit nombre et avec la plus
grande circonspection, l'exemple de Civilis aurait
dû lui apprendre qu'elle s'exposait à un danger évident,
et que ses précautions n'étaient pas toujours
suffisantes
(81).
Durant les discordes intestines qui
suivirent la mort de Néron, cet adroit et intrépide
Batave, que ses ennemis ont daigné comparer avec
Annibal et avec Sertorius
(82),
forma le noble projet
de briser les fers de ses compatriotes, et de rendre
leur nom célèbre. Huit cohortes bataves, dont le
courage avait été éprouvé dans les guerres de Bretagne
et d'Italie, se rangèrent sous son étendard. Il
introduisit au sein de la Gaule une armée de Germains.
A son approche, Trêves et Langres, cités
importantes, furent forcées d'embrasser sa cause. Il
défit les légions, détruisit leurs camps fortifiés, et
employa contre les Romains les talens et la science
militaire qu'il avait acquis en servant avec eux.
Lorsque enfin, après une défense opiniâtre, il fut
contraint de céder à la puissance de l'empire, il
assura sa liberté et celle de sa patrie par un traité
honorable. Les Bataves demeurèrent en possession
des îles du Rhin
(83),
comme alliés, et non comme
sujets de la monarchie romaine.
Dissensions civiles des Germains.
II. Les Germains auraient paru bien redoutables,
si toutes leurs forces réunies eussent agi dans la
même direction. La totalité du pays qu'ils occupaient
pouvait contenir un million de guerriers, puisque
tous ceux qui étaient en âge de porter les armes désiraient
de s'en servir. Mais cette indocile multitude,
incapable de concevoir ou d'exécuter aucun projet
tendant à la gloire nationale, se laissait entraîner
par une foule d'intérêts divers et souvent contraires
les uns aux autres. La Germanie renfermait plus de
quarante États indépendans; et même, dans chaque
État, les différentes tribus qui le composaient ne se
tenaient entre elles que par de faibles liens. Ces Barbares
s'enflammaient aisément; ils ne savaient pas
pardonner une injure, encore moins une insulte.
Dans leur colère implacable, ils ne respiraient que
le sang. Les disputes qui arrivaient si fréquemment
dans leurs parties tumultueuses de chasse ou de débauche,
suffisaient pour provoquer des nations entières.
Les vassaux et les alliés d'un chef puissant
partageaient ses animosités. Punir le superbe, ou
enlever les dépouilles du faible, étaient également
des motifs de guerre. Les plus formidables États de
la Germanie affectaient d'étendre autour de leurs
territoires d'immenses solitudes et des frontières dévastées.
La distance respectueuse que leurs voisins
avaient soin d'observer à leur égard attestait la terreur
de leurs armes, et les mettait en quelque sorte
à l'abri du danger d'une invasion subite
(84).
Fomentées par la politique de Rome.
« Les Bructères
(85)
ne sont plus (c'est maintenant
Tacite
(86)
qui parle) : leur hauteur insupportable,
le désir de profiter de leurs dépouilles, ou peut-être
le ciel, protecteur de notre empire, ont réuni
contre eux les peuples voisins
(87),
qui les ont chassés
et détruits. Les dieux nous ont ménagé jusqu'au
plaisir d'être spectateurs du combat. Plus de soixante
mille hommes ont péri, non sous l'effort des armes
romaines, mais, ce qui est plus magnifique, pour
nous servir de spectacle et d'amusement. Si les peuples
étrangers ne peuvent se résoudre à nous aimer,
puissent-ils du moins se haïr toujours ! Dans cet état
de grandeur
(88)
où les destins de Rome nous ont
élevés, la fortune n'a plus rien à faire que de livrer
nos ennemis à leurs propres dissensions
(89). »
Ces
sentimens, moins dignes de l'humanité que du patriotisme
de Tacite, expriment les maximes invariables
de la politique de ses concitoyens. En combattant
les Barbares, une victoire n'aurait été ni utile
ni glorieuse; il paraissait bien plus sûr de les diviser.
Les trésors et les négociations de Rome pénétrèrent
dans le cœur de la Germanie, et les empereurs employèrent
avec dignité toutes sortes de moyens pour
séduire ceux de ces peuples dont leur situation, sur
les bords du Rhin ou du Danube, pouvait rendre
l'amitié aussi avantageuse que leur inimitié eût été
incommode. On flattait la vanité des principaux chefs
par des présens de peu de valeur, qu'ils recevaient
comme objets de luxe, ou comme marques de distinction.
Dans les guerres civiles, la faction la plus
faible cherchait à se fortifier en formant des liaisons
secrètes avec les gouverneurs des provinces frontières.
Toutes les querelles des Germains étaient fomentées
par les intrigues de Rome; tous leurs projets
d'union et de bien public renversés par l'action puissante
de la jalousie et de l'intérêt particulier
(90).
Union passagère contre Marc-Aurèle.
Sous le règne de Marc-Aurèle, presque tous les
Germains, des Sarmates même, entrèrent dans une
conspiration générale qui glaça l'empire d'effroi.
Quel motif pouvait rassembler tout à coup tant de
nations différentes, depuis l'embouchure du Rhin
jusqu'à celle du Danube
(91) ?
Il nous est impossible
de déterminer si ce fut la raison, la nécessité ou la
passion qui les réunit. Nous devons seulement être
assurés que les Barbares ne furent ni attirés par l'indolence,
ni provoqués par l'ambition de l'empereur
romain. Une invasion si dangereuse exigeait toute
la fermeté et toute la vigilance de Marc-Aurèle. Il
confia plusieurs postes importans à d'habiles généraux,
et il prit en personne le commandement de
ses armées dans la province du Haut-Danube, où sa
présence paraissait plus nécessaire. Après plusieurs
campagnes sanglantes, où la victoire fut souvent
disputée, il vint à bout de dompter la résistance de
ces Barbares. Les Quades et les Marcomans
(92),
qui
avaient donné le signal de la guerre, en furent les
principales victimes. Ces peuples habitaient les rives
du Danube. L'empereur les força de se retirer à cinq
milles au-delà de ce fleuve
(93),
et de lui livrer la
fleur de leur jeunesse, qui fut aussitôt envoyée en
Bretagne, où elle pouvait servir d'otage, et devenir
utile dans l'armée
(94).
Les fréquentes rebellions des
Quades et des Marcomans avaient tellement irrité
Marc-Aurèle, qu'il se proposait de réduire leur pays
en province. La mort l'en empêcha; mais cette ligue
redoutable, la seule dont l'histoire fasse mention dans
les deux premiers siècles de l'empire, fut entièrement
dissipée, et il n'en subsista aucune trace parmi
les peuples du Nord.
Distinction des tribus germaniques.
Jusqu'à présent nous nous sommes borné aux
principaux traits des mœurs de la Germanie, sans
essayer de décrire ou de distinguer les différentes
tribus que cette contrée renfermait au temps de César,
de Tacite et de Ptolémée. Nous parlerons en peu
de mots de leur origine, de leur situation et de leur
caractère particulier, à mesure qu'elles se présenteront
dans la suite de cette histoire. Les nations modernes
sont des sociétés fixes et permanentes, liées
entre elles par les lois et par le gouvernement; les
arts et l'agriculture les tiennent constamment attachées
à leur pays natal. Les tribus germaniques
étaient des associations volontaires et mouvantes,
composées de soldats, je dirais presque de sauvages.
Le même territoire, exposé à un reflux perpétuel de
conquêtes et de migrations, changeait plus d'une fois
d'habitans dans un court espace de temps. Lorsque
plusieurs communautés s'unissaient pour former un
plan d'invasion ou de défense, elles donnaient un
nouveau titre à leur nouvelle confédération. La dissolution
d'une ancienne ligue rendait aux tribus indépendantes
les dénominations qui leur étaient propres,
et qu'elles avaient oubliées pendant long-temps.
Un peuple vaincu adoptait souvent le nom du vainqueur.
Quelquefois des flots de volontaires accouraient
de tous côtés se ranger sous les étendards
d'un chef renommé. Son camp devenait leur patrie;
et bientôt quelque circonstance particulière servait
à désigner toute la multitude. Ces peuples féroces,
effaçant et renouvelant sans cesse les distinctions qui
servaient à les séparer, étaient perpétuellement confondus
ensemble par les sujets consternés de l'empire
romain
(95).
Leur nombre.
Les guerres et l'administration des affaires publiques
sont les principaux sujets de l'histoire, mais le
nombre des personnages qui remplissent la scène
varie selon les différentes conditions du genre humain.
Dans les grandes monarchies, des millions
d'hommes, condamnés à l'obscurité, se livrent en
paix à des occupations utiles. L'écrivain et le lecteur
n'ont alors devant les yeux qu'une cour, une
capitale, une armée régulière, et les pays qui peuvent
être le théâtre de la guerre; mais, au sein des
discordes civiles, chez un peuple libre et barbare,
ou dans de petites républiques
(96),
les situations deviennent
bien plus intéressantes : presque tous les
membres de la société sont en action, et méritent
par conséquent d'être connus. Les divisions irrégulières
des Germains, leur agitation perpétuelle,
éblouissent notre imagination : il semble que leur
nombre se multiplie. Cette énumération prodigieuse
de rois et de guerriers, d'armées et de nations, ne
doit pas nous faire oublier que les mêmes objets ont
sans cesse été représentés sous des dénominations
différentes, et que les dénominations les plus magnifiques
ont été souvent prodiguées aux objets les
moins importans.