CHAPITRE VIII

De l'état de la Perse après le rétablissement de cette monarchie par Artaxercès.


Barbares de l'Orient et du Nord.

Toutes les fois que Tacite abandonne son sujet pour faire paraître sur la scène les Germains ou les Parthes, il semble que ce grand écrivain se propose de détourner l'attention de ses lecteurs d'une scène monotone de vices et de misères. Depuis le règne d'Auguste jusqu'au temps d'Alexandre-Sévère, Rome n'avait eu à redouter que les tyrans et les soldats, ennemis cruels qui déchiraient son sein. Sa prospérité n'était que bien faiblement intéressée dans les révolutions qui se passaient au-delà du Rhin et de l'Euphrate; mais lorsque l'anarchie eut confondu tous les ordres de l'État, lorsque la puissance militaire eut anéanti l'autorité du prince, les lois du sénat, et même la discipline des camps, les Barbares de l'Orient et du Nord, qui avaient si long-temps menacé les frontières, attaquèrent ouvertement les provinces d'une monarchie qui s'écroulait. Leurs incursions, d'abord incommodes, devinrent bientôt des invasions formidables : enfin, après une longue suite de calamités réciproques, les conquérans s'établirent dans le centre de l'empire. Pour développer avec plus de clarté la chaîne de ces grands événemens, nous commencerons par nous former une idée du caractère, des forces et des projets de ces nations, qui vengèrent la cause d'Annibal et de Mithridate.

Révolutions d'Asie.

Dans les premiers siècles dont l'histoire fasse mention, tandis que les forêts qui couvraient le sein de l'Europe servaient d'asile à quelques hordes de sauvages errans, l'Asie comptait un grand nombre de villes florissantes, renfermées dans de vastes empires, où régnaient le luxe, les arts et le despotisme. Les Assyriens donnèrent des lois à l'Orient (1), jusqu'à ce que le sceptre de Ninus et de Sémiramis s'échappât des mains de leurs successeurs amollis. Les Mèdes et les Babyloniens se partagèrent leurs États, et furent eux-mêmes engloutis dans la monarchie des Perses, dont les conquêtes s'étendirent au-delà des limites de l'Asie. Un descendant de Cyrus, Xerxès, suivi, dit-on, de deux millions d'hommes, fondit sur la Grèce; trente mille soldats, sous le commandement d'Alexandre, fils de Philippe, à qui les Grecs avaient remis le soin de leur vengeance et de leur gloire, suffirent pour subjuguer la Perse. Les Séleucus s'emparèrent des conquêtes des Macédoniens en Orient. Le règne de ces princes dura peu. Environ dans le temps qu'un traité ignominieux avec Rome les forçait de céder le pays situé en deçà du mont Taurus, ils furent chassés des provinces de la Haute-Asie par les Parthes, peuplade obscure, venue originairement de la Scythie. Ces nouveaux conquérans avaient formé un empire qui s'étendait de l'Inde aux frontières de la Syrie. Leur puissance formidable fut renversée par Ardshir ou Artaxercès, fondateur d'une nouvelle dynastie, qui, sous le nom des Sassanides, gouverna la Perse jusqu'à l'invasion des Arabes (2). Cette grande révolution, dont les Romains éprouvèrent bientôt la fatale influence, arriva la quatrième année du règne d'Alexandre-Sévère, deux cent vingt-six ans après la naissance de Jésus-Christ (3).

Monarchie des Perses rétablie par Artaxercès.

Artaxercès avait acquis une grande réputation dans les armées d'Artaban, dernier roi des Parthes. Il paraît que ses services ne furent payés que d'ingratitude, récompense ordinaire d'un mérite supérieur, et que, banni d'abord de la cour d'Artaban, il fut ensuite forcé de lever l'étendard de la révolte. Son origine est à peine connue, et l'obscurité de sa naissance a donné lieu également à la malignité de ses ennemis et à la flatterie de ses partisans. Les uns prétendent qu'il était le fruit illégitime du commerce d'un soldat avec la femme d'un tanneur (4). Selon le rapport des autres, il descendait des anciens rois de Perse, quoique le temps et la fortune eussent insensiblement réduit ses ancêtres au rang de simples citoyens (5). Artaxercès s'empressa d'adopter cette dernière opinion. Comme héritier légitime de la monarchie, il résolut de faire valoir les droits qui l'appelaient au trône; et, rempli d'une noble ardeur, il forma le projet de délivrer les Perses de l'oppression sous laquelle ils avaient gémi plus de cinq siècles depuis la mort de Darius. Les Parthes furent vaincus; trois grandes batailles décidèrent de leur sort. Dans la dernière, le roi Artaban perdit la vie, et le courage de la nation fut pour jamais anéanti (6). Après une victoire si décisive, Artaxercès fit reconnaître solennellement son autorité dans une assemblée tenue à Balk, ville du Khorasan. Deux jeunes princes de la maison des Arsacides restèrent confondus parmi les satrapes prosternés autour du vainqueur. Un troisième, plus animé par le sentiment de son ancienne grandeur que par celui d'une nécessité présente, voulut se réfugier, avec une suite nombreuse, à la cour de son parent le roi d'Arménie. Cette troupe de fuyards fut surprise et arrêtée par la vigilance des Perses. Ainsi le vainqueur (7) ceignit fièrement le double diadème, et prit, à l'exemple de son prédécesseur, le surnom de roi des rois. Loin de se laisser éblouir par l'éclat du trône, le nouveau monarque s'occupa des moyens de justifier le choix de sa nation. Tous les titres pompeux qu'il avait rassemblés sur sa tête ne servirent qu'à lui inspirer la noble ambition de rétablir la religion et l'empire de Cyrus, et de rendre à sa patrie son ancienne splendeur.

Réformation du culte des mages.

Durant le long esclavage de la Perse sous le joug des Macédoniens et des Parthes, les nations de l'Europe et de l'Asie avaient réciproquement adopté et corrompu les idées que la superstition avait créées dans ces deux parties du monde. Á la vérité, les Arsacides avaient embrassé la religion des mages; mais ils en avaient altéré la pureté par un mélange de diverses idolâtries étrangères. Quoique sous leur règne on révérât dans tout l'Orient la mémoire de Zoroastre, l'ancien prophète et le premier philosophe des Perses (8), le langage mystérieux et vieilli dans lequel était écrit le Zend-Avesta (9), devenait une source perpétuelle de discussions. On vit s'élever soixante-dix sectes : toutes expliquaient différemment les dogmes fondamentaux de leur religion, et toutes étaient en butte aux traits satiriques des infidèles, qui rejetaient la mission et les miracles du prophète. Plein de respect pour le culte de ses ancêtres, Artaxercès entreprit d'abattre l'idolâtrie, de terminer les schismes, de confondre l'incrédulité, par la décision infaillible d'un conseil général. Dans cette vue, il convoqua les mages de toutes les parties de sa domination. Ces prêtres, qui avaient langui si long-temps dans le mépris et dans l'obscurité, obéirent avec transport. Á la voix du souverain, ils accoururent au nombre de quatre-vingt mille environ. Comme une assemblée si tumultueuse ne pouvait être guidée par la raison, ni donner prise à l'influence de la politique, elle fut successivement réduite à quarante mille, à quatre mille, à quatre cents, à quarante, enfin aux sept mages les plus renommés pour leur piété et pour l'étendue de leurs connaissances. Un d'entre eux, Erdaviraph, jeune, mais saint pontife, reçut des mains de ses collègues trois coupes, remplies d'un vin soporifique. Il les but, et tomba tout à coup dans un profond sommeil. Á son réveil, il instruisit le monarque et la multitude pleine de foi, de son voyage au ciel, et des conférences particulières qu'il avait eues avec la Divinité. Ce témoignage surnaturel détruisit tous les doutes; les articles de la foi de Zoroastre furent fixés avec précision, et d'une manière irrévocable (10). Essayons de tracer une légère esquisse du culte des Perses : elle servira non-seulement à développer leur caractère, mais encore à répandre un nouveau jour sur les rapports soit d'alliance, soit d'inimitié, qui ont eu lieu entre cette nation et le peuple romain (11).

Théologie des Perses : deux principes.

Le grand article de la religion de Zoroastre, l'article qui sert de base à tout le système, est la fameuse doctrine des deux principes : effort hardi et mal conçu de la philosophie orientale, pour concilier l'existence du mal moral et physique avec les attributs d'un créateur bienfaisant qui gouverne le monde. L'origine de toutes choses, le premier être, dans lequel ou par lequel l'univers existe, est appelé chez les Perses le temps sans bornes. Cependant, il faut l'avouer, cette substance infinie semble plutôt un être métaphysique, une abstraction de l'esprit, qu'un objet réel, animé par le sentiment intime de sa propre existence, et doué de perfections morales. Par l'opération aveugle ou par la volonté intelligente de ce temps infini, qui ne ressemble que trop au chaos des Grecs, Ormuzd et Ahriman sont engendrés de toute éternité : principes secondaires, mais les seuls actifs de l'univers, possédant tous les deux le pouvoir de créer, et chacun forcé, par sa nature invariable, à exercer ce pouvoir selon des vues différentes (12). Le principe du bien est éternellement absorbé dans la lumière; le principe du mal éternellement enseveli dans les ténèbres. Ormuzd tira l'homme du néant, le forma capable de vertu, et remplit son superbe séjour d'une foule de matériaux, sur lesquels devait s'élever l'édifice de son bonheur. Les soins vigilans de ce sage génie ramènent l'ordre constant des saisons, font mouvoir les planètes dans leurs orbites, et entretiennent l'harmonie des élémens. Mais il y a long-temps que la méchanceté d'Ahriman a percé l'œuf d'Ormuzd, ou, pour nous servir d'une expression plus simple, a violé l'harmonie de ses ouvrages. Depuis cette fatale irruption, tout est bouleversé; les particules les plus déliées du bien et du mal sont intimement mêlées entre elles, et fermentent perpétuellement. Auprès des plantes les plus salubres croissent de funestes poisons. Les déluges, les embrasemens, les tremblemens de terre, attestent les combats de la nature; et l'homme, dans sa petite sphère, est sans cesse tourmenté par les assauts du vice et du malheur. Que les mortels se traînent en esclaves à la suite du barbare Ahriman; le fidèle Persan seul adore son ami, son protecteur, le grand Ormuzd. Il combat sous sa bannière éclatante; il marche auprès de lui, dans la ferme conviction qu'au dernier jour il partagera la gloire de son triomphe. A cette époque décisive, la sagesse lumineuse de la souveraine bonté rendra la puissance d'Ormuzd supérieure à la méchanceté de son rival. Désarmés et soumis, Ahriman (13) et ceux qu'il enchaîne à son char seront précipités dans les ténèbres; et la vertu maintiendra à jamais la paix et l'harmonie de l'univers (14).

Culte religieux.

La théologie de Zoroastre parut toujours obscure aux étrangers, et même au plus grand nombre de ses disciples. Cependant les observateurs les moins pénétrans ont été frappés de la simplicité vraiment philosophique qui caractérise la religion des Perses. « Ce peuple, dit Hérodote (15), rejette l'usage des temples, des autels et des statues. Il sourit des folles idées de ces nations qui s'imaginent que les dieux peuvent être issus des hommes, ou participer à leur nature. C'est sur la cime des plus hautes montagnes que les Perses offrent des sacrifices. Leur culte consiste principalement dans des prières et dans des hymnes sacrés. L'objet qu'ils invoquent est cet être suprême dont l'immensité remplit la vaste étendue des cieux. » Mais on reconnaît dans l'historien grec les idées du polythéisme, lorsqu'il attribue en même temps aux disciples de Zoroastre la coutume d'adorer la terre, l'eau, le feu, les vents, le soleil et la lune. De tout temps les Perses ont entrepris d'éloigner cette imputation, en expliquant les motifs d'une conduite un peu équivoque : s'ils révéraient les élémens, et surtout le feu, la lumière et le soleil, en leur langue Mithra (16), c'est qu'ils les regardaient comme les symboles les plus purs, les productions les plus nobles, et les agens les plus actifs de la nature et de la puissance divine (17).

Cérémonies et préceptes moraux.

Pour faire une impression profonde et durable sur l'esprit humain, toute religion doit exercer notre obéissance, en nous prescrivant des pratiques de dévotion dont il nous soit impossible d'assigner le motif. Elle doit encore gagner notre estime, en inculquant dans notre âme des devoirs de morale analogues aux mouvemens de notre propre cœur. Zoroastre avait employé avec profusion le premier de ces moyens, et suffisamment le second. Dès que le fidèle Persan avait atteint l'âge de puberté, on lui donnait une ceinture mystérieuse, gage de la protection divine; et depuis ce moment, toutes les actions de sa vie, les plus nécessaires comme les plus indifférentes, étaient également sanctifiées par des prières, des éjaculations ou des génuflexions. Aucune circonstance particulière ne devait le dispenser de ces cérémonies; la plus légère omission l'aurait rendu aussi coupable que s'il eût manqué à la justice, à la compassion, à la libéralité et à tous les devoirs de la morale (18). D'un autre côté, ces devoirs essentiels étaient indispensablement prescrits au disciple de Zoroastre, qui voulait échapper aux persécutions d'Ahriman, et qui aspirait à vivre avec Ormuzd dans une éternité bienheureuse, où le degré de félicité est exactement proportionné au degré de piété et de vertu dont on a donné l'exemple sur la terre (19).

Encouragement de l'agriculture.

Zoroastre ne s'exprime pas toujours en prophète; quelquefois il prend le ton de législateur. C'est alors qu'il paraît s'occuper du bonheur des peuples, et laisse voir, sur ces différens sujets, une élévation d'esprit que l'on découvre rarement dans les méprisables ou extravagans systèmes de la superstition. Le jeûne et le célibat lui semblent odieux; il condamne ces moyens si ordinaires d'acheter la faveur divine : selon lui, il n'est point de plus grand crime que de dédaigner ainsi les dons précieux d'une providence bienfaisante. La religion des mages ordonne à l'homme pieux d'engendrer des enfans, de planter des arbres utiles, de détruire les animaux nuisibles, d'arroser le sol aride de la Perse, et de travailler à l'œuvre de son salut en cultivant la terre. On trouve dans le Zend-Avesta une maxime dont la sagesse doit faire oublier un grand nombre d'absurdités que ce livre renferme. « Celui qui sème des grains avec soin et avec activité, amasse plus de mérites que s'il avait répété dix mille prières (20). »
Tous les ans on célébrait au printemps une fête destinée à rappeler l'égalité primitive, et à représenter la dépendance réciproque du genre humain. Les superbes monarques de la Perse se dépouillaient de leur vaine pompe, et, environnés d'une grandeur plus véritable, ils paraissaient confondus dans la classe la plus humble, mais la plus utile de leurs sujets. Les laboureurs étaient alors admis sans distinction à la table du roi et des satrapes : le souverain recevait leurs demandes, écoutait leurs plaintes, et conversait familièrement avec eux. « C'est à vos travaux, leur disait-il (et s'il ne s'exprimait pas sincèrement, il parlait au moins le langage de la vérité), c'est à vos travaux que nous devons notre subsistance. Nos soins paternels assurent votre tranquillité : ainsi, puisque nous nous sommes également nécessaires, vivons ensemble; aimons-nous comme frères, et que la concorde règne toujours parmi nous (21). » Dans un État puissant et soumis au despotisme, une pareille fête dut, à la vérité, perdre insensiblement de son importance et de sa dignité. Mais, en admettant qu'elle fût devenue une représentation de théâtre, cette scène méritait bien d'avoir pour spectateur un souverain; et quelquefois elle pouvait imprimer une grande leçon dans l'âme d'un jeune prince.

Pouvoir des mages.

Si toutes les institutions de Zoroastre eussent porté l'empreinte de ce caractère élevé, son nom eût été digne d'être prononcé avec ceux de Numa et de Confucius; et ce serait à juste titre que l'on donnerait à son système tous les éloges qui lui ont été prodigués par quelques-uns de nos théologiens, et même de nos philosophes. Mais, dans ses productions bizarres, fruit d'une passion aveugle et d'une raison éclairée, on reconnaît le langage de l'enthousiasme et de l'intérêt personnel. Les vérités importantes et sublimes qu'il annonce sont dégradées par un mélange de superstition méprisable et dangereuse. Les mages formaient une classe très-considérable de l'État. Nous les avons déjà vus paraître, dans une assemblée, au nombre de quatre-vingt mille. La discipline multipliait leurs forces; ils composaient une hiérarchie régulière répandue dans toutes les provinces de la Perse. Le principal d'entre eux résidait à Balk, où il recevait les hommages de toute la nation, comme chef visible de la religion, et comme successeur légitime de Zoroastre (22). Ces prêtres avaient des biens immenses : outre les terres les plus fertiles de la Médie (23), dont les Perses les voyaient jouir paisiblement, leurs revenus consistaient en une taxe générale sur les fortunes et sur l'industrie des citoyens (24). « Il ne suffit pas, s'écrie l'avide prophète, que vos bonnes œuvres surpassent en nombre les feuilles des arbres, les gouttes de la pluie, les sables de la mer ou les étoiles du firmament; il faut encore, pour qu'elles vous soient profitables, que le destour, ou le prêtre, daigne les approuver. Vous ne pouvez obtenir une pareille faveur qu'en payant fidèlement à ce guide du salut la dîme de vos biens, de vos terres, de votre argent, de tout ce que vous possédez. Si le destour est satisfait, votre âme évitera les tourmens de l'enfer; vous serez comblés d'éloges dans ce monde-ci, et vous goûterez dans l'autre un bonheur éternel : car les destours sont les oracles de la Divinité; rien ne leur est caché, et ce sont eux qui délivrent tous les hommes (25). »
Ces maximes importantes de respect et d'une foi implicite étaient sans doute gravées avec le plus grand soin dans l'âme tendre des jeunes Perses, puisque l'éducation appartenait aux mages, et que l'on remettait entre leurs mains les enfans même de la famille royale (26). Les prêtres, doués d'un génie spéculatif, étudiaient et dérobaient aux yeux de la multitude les secrets de la philosophie orientale. Ils acquéraient, par des connaissances profondes, ou par une grande habileté, la réputation d'être très-versés dans quelques sciences occultes, qui, par la suite, ont tiré des mages leur dénomination (27). Ceux qui avaient reçu de la nature des dispositions plus actives que les autres, passaient leur vie dans le monde, au milieu des intrigues des cours et du tumulte des villes; et tant qu'Artaxercès tint les rênes du gouvernement, la politique ou la superstition l'engagea à se laisser diriger par les avis de l'ordre sacerdotal, dont il rétablit la dignité dans tout son éclat (28).

Esprit de persécution.

Le premier conseil que les mages donnèrent à ce prince était conforme au génie intolérant de leur religion (29), à la pratique des anciens rois (30), et même à l'exemple de leur législateur, qui, victime du fanatisme, avait perdu la vie dans une guerre allumée par son zèle opiniâtre (31). Artaxercès proscrivit, par un arrêt rigoureux, l'exercice de tout culte, excepté celui de Zoroastre. Les temples des Parthes, et les statues de leurs monarques qui avaient reçu les honneurs de l'apothéose, furent renversés avec ignominie (32). On brisa facilement l'épée d'Aristote (33), nom que les Orientaux avaient imaginé pour désigner le polythéisme et la philosophie des Grecs. Les flammes de la persécution enveloppèrent les juifs et les chrétiens (34) les plus attachés à leurs dogmes; elles n'épargnèrent pas même les hérétiques de la nation : la majesté d'Ormuzd, qui ne pouvait reconnaître de rival, fut secondée par le despotisme d'Artaxercès, qui ne pouvait souffrir de rebelles, et les schismatiques furent bientôt réduits au nombre de quatre-vingt mille, nombre peu considérable pour un si vaste empire (35). Cet esprit de persécution déshonore le culte de Zoroastre; mais comme il ne produisit aucune dissension civile, il servit à resserrer les liens de la nouvelle monarchie, en rassemblant tous les habitans de la Perse sous les bannières d'une même religion.

Établissement de l'autorité royale dans les provinces.

Artaxercès, par sa valeur et par sa conduite, avait arraché le sceptre de l'Orient à la dynastie des Parthes. Lorsqu'il n'eut plus d'ennemis à combattre, il lui resta la tâche, plus difficile, d'établir dans toute l'étendue de la Perse une administration uniforme et vigoureuse. Les faibles Arsacides avaient cédé à leurs fils et à leurs frères les principales provinces et les grandes charges de la couronne, à titre de possession héréditaire. On avait permis aux vitaxes, dix-huit des plus puissans satrapes, de prendre le titre de roi. Une autorité idéale sur tant de rois vassaux flattait l'orgueil puéril du monarque. Á peine même les Barbares, au milieu de leurs montagnes, et les Grecs de la Haute-Asie (36), dans le sein de leurs villes, reconnaissaient-ils l'autorité d'un maître aux ordres duquel ils obéissaient rarement. L'empire des Parthes présentait, sous d'autres noms, une vive image du gouvernement féodal (37), si connu depuis en Europe. L'activité du vainqueur ne lui permit pas de prendre de repos, qu'il n'eût tout soumis. Il parcourut en personne les provinces de la Perse, à la tête d'une armée nombreuse et disciplinée. La défaite des plus fiers rebelles, et la réduction des places les plus fortes (38), répandirent la terreur de ses armes, et contribuèrent à faire recevoir paisiblement son autorité. Les chefs tombèrent victimes d'une résistance opiniâtre; mais leurs partisans furent traités avec douceur (39). Une soumission volontaire était récompensée par des richesses et par des honneurs. Trop prudent pour laisser aucun sujet se parer des ornemens de la royauté, Artaxerces abolit tout pouvoir intermédiaire entre le trône et le peuple.

Étendue et population de la Perse.

Son royaume, à peu près aussi étendu que la Perse moderne, se trouvait borné de tous côtés par la mer et de grands fleuves. Il avait pour limites l'Euphrate, l'Oxus, l'Araxe, le Tigre, l'Indus, la mer Caspienne et le golfe Persique (40). Dans le dernier siècle, ce pays pouvait contenir cinq cent cinquante-quatre villes, soixante mille villages, et environ quarante millions d'âmes (41). Si l'on compare l'administration des Sassanides avec le gouvernement de la maison de Sefi, l'influence politique des mages avec celle de la religion mahométane, on supposera facilement que les États d'Artaxercès renfermaient au moins un aussi grand nombre de villes, de villages et d'habitans. Mais le défaut de ports sur les côtes, et dans l'intérieur la rareté de l'eau, ont toujours beaucoup nui au commerce et à l'agriculture des Perses, qui semblent, en parlant de leur population, s'être laissés aller à l'une des prétentions les moins relevées, mais les plus ordinaires de la vanité nationale.

Récapitulation des guerres entre les Parthes et les Romains.

Dès qu'Artaxercès eut triomphé de ses rivaux, son ambition se porta vers les États voisins, qui, durant le sommeil léthargique de ses prédécesseurs, avaient insulté avec impunité un royaume affaibli. Il remporta quelques victoires faciles sur les Scythes indisciplinés et sur les Indiens amollis; mais il trouva dans les Romains des ennemis formidables, dont les outrages réitérés l'excitaient à la vengeance, et avec lesquels il ne pouvait se mesurer sans employer les plus grands efforts.
Quarante ans de tranquillité, fruit de la valeur et de la modération, avaient succédé aux conquêtes de Trajan. L'empire, depuis l'avénement de Marc-Aurèle jusqu'au règne d'Alexandre-Sévère, avait été deux fois en guerre avec les Parthes; et quoique les Arsacides eussent alors développé toutes leurs forces contre une partie seulement des troupes romaines, les Césars furent presque toujours victorieux. Á la vérité, le timide Macrin, enchaîné par une situation précaire, acheta la paix au prix de deux millions sterl. (42). Mais les généraux de Marc-Aurèle, l'empereur Sévère, son fils même, avaient érigé en Arménie, dans la Mésopotamie et en Assyrie, plusieurs trophées. Une relation imparfaite de leurs exploits aurait interrompu le récit intéressant des révolutions qui, dans cette période, agitèrent l'intérieur de l'empire. Comme ces événemens particuliers sont peu importans par eux-mêmes, nous ne parlerons ici que des calamités auxquelles furent souvent exposées deux des principales villes de l'Orient, Séleucie et Ctésiphon.

Séleucie et Ctésiphon.

Séleucie, bâtie sur la rive occidentale du Tigre, à quinze lieues environ au nord de l'ancienne Babylone, était la capitale des Macédoniens, dans la Haute-Asie (43). Plusieurs siècles après la chute de leur empire, cette ville avait conservé le véritable caractère de ses fondateurs : on y retrouvait encore les arts, le courage militaire et l'amour de la liberté qui distinguaient les colonies grecques. Un sénat, composé de trois cents nobles, gouvernait cette république indépendante. Six cent mille citoyens y vivaient tranquillement à l'abri de leurs remparts fortifiés; et tant que les différens ordres de l'État demeurèrent unis, ils n'eurent que du mépris pour la puissance des Parthes. Mais quelquefois d'insensés factieux implorèrent le secours dangereux de l'ennemi commun, qu'ils voyaient posté presque aux portes de la ville (44). Les souverains des Parthes se plaisaient, comme les monarques de l'Indoustan, à mener la vie pastorale des Scythes leurs ancêtres. Ils campaient souvent dans la plaine de Ctésiphon, sur la rive orientale du Tigre, à la distance seulement de trois milles de Séleucie (45). Le luxe et le despotisme attiraient autour du prince une foule innombrable; et le petit village de Ctésiphon devint insensiblement une grande ville (46). Les Romains, sous le règne de Marc-Aurèle, pénétrèrent jusque dans ces contrées.

A. 165.

Reçus en amis par la colonie grecque, ils attaquèrent, les armes à la main, le siège de la grandeur des Parthes. Les deux villes éprouvèrent cependant le même traitement. Les Romains flétrirent leurs lauriers (47) par le pillage de Séleucie et par le massacre de trois cent mille habitans. Cette superbe cité, qu'avait déjà épuisée le voisinage d'un rival trop puissant, succomba sous le coup fatal.

A. 198.

Ctésiphon seule sortit de ses ruines, et, dans un espace de trente-trois ans, elle avait repris assez de force pour soutenir un siége opiniâtre contre l'empereur Sévère. Elle fut néanmoins emportée d'assaut, et le roi, qui la défendait en personne, se sauva précipitamment. Cent mille captifs et de riches dépouilles récompensèrent les travaux des soldats romains (48). Babylone, Séleucie, n'existaient plus : ainsi, malgré tant de malheurs, Ctésiphon conserva le rang d'une des plus grandes capitales de l'Asie. En été, les vents rafraîchissans qui sortent des montagnes de la Médie, rendaient le séjour d'Ecbatane plus agréable aux monarques persans; mais pendant l'hiver ils venaient jouir à Ctésiphon des douceurs d'un climat plus tempéré.

Conquête de l'Oshroène par les Romains.

Les Romains, quoique victorieux, ne tirèrent aucun avantage réel ni durable de leurs expéditions, et jamais ils ne songèrent à conserver des conquêtes si éloignées, séparées de leur empire par de vastes déserts. L'acquisition de l'Oshroène, moins brillante à la vérité, leur devint bien plus importante. Ce petit État renfermait la partie septentrionale et la plus fertile de la Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate; Édesse, sa capitale, avait été bâtie à vingt milles environ au-delà du premier de ces fleuves; et les habitans, depuis Alexandre, étaient un mélange de Grecs, d'Arabes, de Syriens et d'Arméniens (49). Les faibles monarques de ce royaume, placés entre les frontières de deux empires rivaux, paraissaient intérieurement disposés en faveur des Parthes; cependant la puissance formidable de Rome leur arracha un hommage qu'ils ne rendirent qu'à regret, mais qu'attestent encore leurs médailles. Les Romains crurent devoir s'assurer de leur fidélité par des gages plus certains : après la guerre des Parthes, sous Marc-Aurèle, ils construisirent des forteresses au milieu de leur pays, et ils mirent une garnison dans l'importante place de Nisibis. Durant les troubles qui suivirent la mort de Commode, les princes de l'Oshroène entreprirent en vain de secouer le joug. La politique ferme de Sévère sut les contenir (50), et la conduite perfide de Caracalla termina une conquête facile. Abgare, dernier roi d'Édesse, fut envoyé à Rome chargé de fers; son royaume fut réduit en province, et sa capitale honorée du rang de colonie. Ainsi, dix-ans avant la chute des Parthes, les Romains avaient obtenu au-delà de l'Euphrate un établissement fixe et permanent (51).

Artaxercès réclame les provinces de l'Asie et déclare la guerre aux Romains. A. 230.

Lorsque Artaxercès prit les armes, la gloire et la prudence auraient pu le justifier, s'il eût borné ses vues à l'acquisition ou à la défense d'une frontière utile. Mais l'ambition lui avait tracé un plan de conquête bien plus vaste; et il se persuada qu'il pouvait employer la raison, aussi bien que la force, pour soutenir ses prétentions excessives. Cyrus était le modèle qu'il se proposait d'imiter. Ce héros, disait-il dans son message à l'empereur Alexandre-Sévère, subjugua le premier toute l'Asie, et ses successeurs en restèrent long-temps les maîtres. Leurs domaines touchaient à la Propontide et à la mer Égée. Des satrapes gouvernaient en leur nom la Carie et l'Ionie; enfin toute l'Égypte, jusqu'aux confins de l'Éthiopie, reconnaissait leur souveraineté (52). Leurs droits, ajoutait Artaxercès, avaient été suspendus par une longue usurpation, mais ils n'étaient pas détruits; et du moment où la naissance et le courage avaient placé la couronne sur sa tête, son premier devoir était de rétablir la gloire et les limites de la monarchie persane. Le grand roi (tel était le titre pompeux sous lequel il s'annonçait à l'empereur), le grand roi ordonnait donc aux Romains de se retirer immédiatement des provinces où régnaient autrefois ses ancêtres; et, satisfaits de rester paisiblement en possession de l'Europe, de céder aux Perses l'empire de l'Asie. Quatre cents Perses, d'une beauté et d'une taille remarquables, furent chargés de ce fier message. Ils s'efforcèrent, par de superbes chevaux, par des armes magnifiques et par une suite brillante, de déployer l'orgueil et la grandeur de leur maître (53). Une pareille ambassade était moins une offre de négociation, qu'une déclaration de guerre. Les deux monarques rassemblèrent aussitôt toutes leurs forces, et prirent le parti de conduire leurs armées en personne.

Prétendue victoire d'Alexandre-Sévère. A. 233.

Il existe encore un discours de l'empereur lui-même, qui fut prononcé à cette occasion dans le sénat. Si nous en croyons ce monument, qui semblerait devoir être authentique, la victoire d'Alexandre-Sévère égala toutes celles que le fils de Philippe avait autrefois remportées sur les Perses. L'armée du grand-roi était composée de cent vingt mille chevaux tout enharnachés en airain, de dix-huit cents chariots armés de faux, et de sept cents éléphans qui portaient des tours remplies d'archers. Les annales de l'Asie n'ont jamais présenté de description si pompeuse : à peine même les Orientaux en ont-ils imaginé de semblables dans leurs romans (54). Malgré ce redoutable appareil, l'ennemi fut entièrement vaincu dans une grande bataille où l'empereur romain développa tout le courage d'un soldat intrépide, et les talens d'un général expérimenté. Le grand roi prit la fuite. Un butin immense et la conquête de la Mésopotamie furent les fruits de cette journée mémorable. Telles sont les circonstances invraisemblables d'une relation dictée, selon toutes les apparences, par la vanité du monarque, composée par de vils flatteurs, et reçue avec transport par un sénat que l'éloignement et l'esprit d'adulation réduisaient au silence (55). Loin de penser que les armes d'Alexandre aient triomphé de la valeur des Perses, perçons au travers du nuage qui nous dérobe la vérité : peut-être tout cet éclat d'une gloire imaginaire cache-t-il quelque disgrâce réelle (56).

Relation plus probable de la guerre.

Nos soupçons sont confirmés par l'autorité d'un historien contemporain qui honore les vertus d'Alexandre, et qui expose de bonne foi les fautes de ce prince. Il trace d'abord le plan judicieux formé pour la conduite de la guerre. Trois armées romaines devaient s'avancer par différens chemins, et envahir la Perse dans le même temps : mais le talent et la fortune ne secondèrent pas les opérations de la campagne, quoiqu'elles eussent été sagement concertées. Dès que la première de ces armées se fut engagée dans les plaines marécageuses de la Babylonie, vers le confluent artificiel du Tigre et de l'Euphrate (57), elle se trouva environnée de troupes supérieures en nombre, et les flèches de l'ennemi la détruisirent entièrement. La seconde armée se flattait de pouvoir pénétrer dans le cœur de la Médie. L'alliance de Chosroès, roi d'Arménie (58), lui en facilitait l'entrée; et les montagnes, dont tout le pays est couvert, la mettaient à l'abri des attaques de la cavalerie persane. Les Romains ravagèrent d'abord les provinces voisines, et leurs premiers succès semblent excuser, en quelque sorte, la vanité de l'empereur; mais la retraite de ces troupes victorieuses fut mal dirigée, ou du moins malheureuse. En repassant les montagnes, les fatigues d'une route pénible et le froid rigoureux de la saison firent périr un grand nombre de soldats. Tandis que ces deux grands détachemens marchaient en Perse par les extrémités opposées, Alexandre, à la tête du principal corps d'armée, devait les soutenir en se portant au centre du royaume. Ce jeune prince, sans expérience, dirigé par les conseils de sa mère, ou peut-être par sa propre timidité, trompa la valeur de ses soldats, et renonça aux plus belles espérances. Après avoir passé l'été en Mésopotamie dans l'inaction, il ramena honteusement à Antioche une armée que les maladies avaient considérablement diminuée, et qu'irritait le mauvais succès de cette expédition. La conduite d'Artaxercès avait été bien différente. Volant avec rapidité des montagnes de la Médie aux marais de l'Euphrate, ce prince se montra partout où sa présence paraissait nécessaire; il repoussa lui-même l'ennemi, et, toujours supérieur à la fortune, il joignit à la plus grande habileté le courage le plus intrépide. Mais les combats opiniâtres qu'il eut à soutenir contre les vétérans des légions romaines lui coûtèrent l'élite de ses troupes : ses victoires même l'avaient épuisé. L'absence d'Alexandre, et la confusion qui suivit la mort de cet empereur, offraient en vain une nouvelle carrière à son ambition. Loin de chasser les Romains du continent de l'Asie, comme il le prétendait, il se trouva hors d'état de leur arracher la petite province de Mésopotamie (59).

Caractère et maximes d'Artaxercès. A. 240.

Le règne d'Artaxercès, qui, depuis la dernière défaite des Parthes, gouverna la Perse pendant quatorze ans, forme une époque mémorable dans les annales de l'Orient et même dans l'histoire de Rome. Son caractère semble avoir eu une expression forte et hardie qui distingue généralement le prince qui s'élève par le droit des armes, de celui que le droit de sa naissance appelle au trône de ses pères. Les Perses respectèrent sa mémoire jusqu'à la fin de leur monarchie, et son code de lois fût toujours la base de leur administration civile et religieuse (60). Plusieurs de ses maximes nous sont parvenues. Une entre autres prouve combien ce prince pénétrant connaissait les ressorts du gouvernement. « L'autorité du monarque, disait-il, doit être soutenue par une force militaire. Cette force ne peut se maintenir que par des impôts. Tous les impôts tombent à la fin sur l'agriculture ; et l'agriculture ne fleurira jamais qu'à l'abri de la modération et de la justice (61). » Le fils d'Artaxercès était digne de lui succéder. Sapor hérita des États de son père, et de ses idées de conquête contre les Romains; mais ces projets ambitieux, trop vastes pour les Perses, firent le malheur des deux nations, et les plongèrent dans une suite de guerres sanglantes.

Puissance militaire des Perses.

Á cette époque, la nation persane, depuis longtemps civilisée et corrompue, était bien loin de posséder la valeur qu'inspirent l'indépendance, la force du corps et l'impétuosité de l'âme, qui ont livré l'empire de l'univers aux Barbares du septentrion. Les principes d'une tactique éclairée, qui rendirent triomphantes Rome et la Grèce, et qui distinguent aujourd'hui les habitans de l'Europe, n'ont jamais fait de progrès considérables en Orient. Les Perses n'avaient aucune idée de ces évolutions admirables qui dirigent et animent une multitude confuse, et ils ignoraient également l'art de construire, d'assiéger ou de défendre des fortifications régulières. Ils se fiaient plus à leur nombre qu'à leur courage, plus à leur courage qu'à leur discipline.

Leur infanterie méprisable.

Une victoire dispersait, aussi facilement qu'une défaite, leur infanterie composée d'une foule de paysans peu aguerris, presque sans armes, levés à la hâte et attirés sous les drapeaux par l'espoir du pillage. Le monarque et les seigneurs de sa cour transportaient dans les tentes l'orgueil et le luxe du sérail. Une suite inutile de femmes, d'eunuques, de chevaux et de chameaux, retardait les opérations militaires; et souvent, au milieu d'une campagne heureuse, l'armée persane se trouvait séparée ou détruite par une famine imprévue (62).

Leur cavalerie excellente.

Mais les nobles de ce royaume conservèrent toujours, au sein de la mollesse et sous le joug du despotisme, un sentiment profond de courage personnel et d'honneur national. Dès qu'ils avaient atteint l'âge de sept ans, on leur enseignait à fuir le mensonge, à tirer de l'arc et à monter à cheval : ils excellaient surtout dans ces deux derniers arts (63). Les jeunes gens les plus distingués étaient élevés sous les yeux du monarque; ils apprenaient leurs exercices dans l'enceinte du palais. On les accoutumait de bonne heure à la sobriété et à l'obéissance; et leurs corps, endurcis par des chasses longues et pénibles, devenaient ensuite capables de supporter les plus grandes fatigues. Dans chaque province, le satrape avait à sa cour une école semblable. Les seigneurs persans étaient tenus au service militaire, en conséquence des terres et des maisons que la bonté du roi leur accordait, tant est naturelle l'idée du gouvernement féodal. Au premier signal, ils montaient à cheval et volaient aux armes, suivis d'une troupe brillante et remplie d'ardeur, qui se joignait aux corps nombreux des gardes, choisis avec soin parmi les esclaves les plus robustes et les aventuriers les plus braves de l'Asie. Ces cavaliers, également redoutables par l'impétuosité du choc et par la rapidité des mouvemens, menaçaient sans cesse l'empire romain; et les habitans des provinces orientales voyaient tous les jours se former les nuages qui présageaient les malheurs et la désolation de leur patrie (64).